
Un débat d’actualité qui résume l’antagonisme entre la course à la production et le chômage de masse, l’allongement de la durée de cotisation et l’épuisement au travail, les coopérations instinctives et l’omnipotente volonté gestionnaire : « L’emploi pour tous, un travail de qualité pour chacun, objectif ou utopie ? »
8 décembre, direction l’assemblée générale annuelle de l’association des lecteurs d’Alternatives Economiques.
Au menu cette année ? Un débat d’actualité qui résume l’antagonisme entre la course à la production et le chômage de masse, l’allongement de la durée de cotisation et l’épuisement au travail, les coopérations instinctives et l’omnipotente volonté gestionnaire : « L’emploi pour tous, un travail de qualité pour chacun, objectif ou utopie ? »
Pour répondre à cette problématique Alter Eco a choisi de convier deux journalistes (Camille Dorival d’Alter Eco ainsi que François Desriaux de la revue Santé & Travail), un sociologie (Norbert Alter), ainsi qu’un des secrétaires nationaux de la CFDT (Laurent Berger).
Plan
Etat des lieux du marché du travail : une triple fracture (Camille Dorival)
De la question du travail à celle de l’emploi, changement du métier du syndicaliste (Laurent Berger)
Le travail est-il soutenable tout au long de la vie pour tout le monde ? (François Desriaux)
Quand le salarié devient comptable de sa relation avec les entreprises (Norbert Alter)
Etat des lieux du marché du travail : une triple fracture
Camille Dorival a ouvert le bal en dressant un tableau relativement sombre du marché du travail traversé par un triple fracture :
– entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. La France est affectée par un chômage de masse qui frappe 4,8 millions de personnes et par une très forte hausse du chômage de longue durée. En effet, les demandeurs d’emploi depuis plus de trois ans ont augmenté de 20% et ceux en recherche depuis deux à trois ans s’accroissent de 26%,
– entre des salariés installés en CDI et l’essentiel des nouvelles embauchent en CDD dont la durée se raccourcit de plus en plus. Si 78% des salariés bénéficient toujours d’un CDI, les 2/3 des recrutements s’effectuent désormais CDD,
– avec l’ancienne tendance d’amélioration des conditions de travail. Celles-ci sont désormais marquées par une pression accrue, une intensification de la charge de travail, une perte de pouvoir des managers de proximité entraînant une perte de reconnaissance, la diminution des possibilités réelles d’expression et, au final, une véritable souffrance au travail.
De la question du travail à celle de l’emploi, changement du métier du syndicaliste
Laurent Berger pointera lui le changement du rôle du syndicalisme. Selon lui, avec l’émergence du chômage de masse, le syndicalisme a dû ajouter à son coeur de métier articulé autour des salariés en poste, c’est à dire la question du travail, la question de l’emploi, c’est à dire ouvrir et obtenir assez de postes.
Il a rappelé qu’en 2010, sur 19 millions déclarations uniques d’embauche, 12 millions concernaient des emplois d’une durée inférieure à un mois et 7 millions pour des contrats de moins d’une semaine.
Il a expliqué aussi que les temps de vie active se concentraient essentiellement sur les 30-45 ans et que les entreprises excluaient les plus jeunes, et les plus âgés.
Il a dénoncé une politique illisible de l’Etat sur les contrats aidés sur un principe de « Stop & go ». On dénonce, on stoppe, puis on relance les embauches sur ce type de contrat sans aucune vision de long terme.
Laurent Berger a invité à réfléchir sur la façon dont on articule les temps pendant la vie professionnelle afin de se former, d’explorer, se découvrir et essayer de donner à chacun la possibilité de le faire. L’idée serait par exemple de gagner des droits puis partir 1 an faire ce que l’on veut tout en étant payé par l’entreprise par exemple. Une autre façon de réduire le temps de travail.
Le secrétaire national a rappelé devant une salle conquise que la question de l’emploi posait un problème de cohésion sociale avec l’aggravation de la grande pauvreté et que cela devrait au contraire conduire la collectivité non pas à diminuer mais à accroître les minima sociaux.
Enfin, dans la deuxième partie de son intervention, il a tenu à revenir sur l’objet initial du syndicalisme c’est à dire la question du travail.
Il a énoncé brièvement les résultats du baromètre CFDT qui permet de voir que si les salariés sont attachés à leur travail, facteur d’identité, ils souffrent dans l’exercice de leur activité. Les résultats corroborent parfaitement les observations de Camille Dorival est illustreront avec un temps d’avance les observations des deux autres intervenants. Les salariés déclarent :
– être confrontés à l’intensification du travail
– espérer des progrès en terme de reconnaissance sur une dimension salarial *et* de sens du travail
– ressentir une précarisation notamment à cause de la faible stabilité des effectifs
– disposer de peu de possibilité pour s’exprimer
– constater une perte de pouvoir des managers de proximité qui n’ont plus aucune marge de maneouvre. Nous pourrions rajouter, qui ne manage plus en somme.
Le travail est-il soutenable tout au long de la vie pour tout le monde ?
Pour François Desriaux la réponse ne saurait être que non pour 20 à 30% des salariés et ce pour deux raisons :
– la pénibilité physique. Il cite notamment le travail de nuit qui concerne 15 % des salariés et fini par dérégler complètement l’horloge interne, les charges lourdes et les postures pénibles pour près de 50% ou encore l’exposition à des bruits pénibles pouvant provoquer des lésions de long terme pour plus de 18% d’entre eux.
Il estime en outre que cette pénibilité est renforcée par l’intensification du travail, c’est à dire produire plus, plus vite, avec moins de monde. Sur les chaînes de production les temps de cycle se réduisent soumettant le corps à rude épreuve. Il illustre son propos par les 4 secondes imposées pour découper une aile de poulet, l’explosion des troubles musculosquelettiques : 30k opération par an du syndrôme du canal carpien ou encore l’inopérable usure de la coiffe des rotateurs (épaule) frappant surtout les hôtes de supermarchés ce qui autorise leur licenciement pour inaptitude au travail. Il appuie sur la double peine subie par ces hommes et ces femmes : tu perds la santé par le travail, puis, tu le perds car tu l’as perdue. Chaque année, 200k salariés sont reconnus inaptes au travail et 120k d’entre eux sont priés de prendre la porte.
Enfin, il tire de nouveau la sonette d’alarme en indiquant que l’intensification touche aussi le secteur des services : 5 à 25% des tâches s’effectuent en moins d’une heure et jusqu’à 53% des tâches sont interrompues par une autre qui devient plus urgente.
– l’exposition aux substances dangereuses, cancérigènes ou mutagènes, pour 2,5 millions de salariés (13% de la population active) essentiellement dans l’industrie, le bâtiment, le commerce. A quoi cela sert-il d’adopter une des meilleures législations au monde si elle est peu ou mal appliquée feint-il de s’interroger.
Il conclut son propos par une série de questions :
– quel investissement pour adapter le salarié au vieillissement ?
– est-il juste que chacun aie les même droits alors qu’un ouvrier vit 7 ans de moins que les cadres et dans des conditions physiques moins bonnes ?
Quand le salarié devient comptable de sa relation avec les entreprises
Norbert Alter s’attacha à décrypter les relations au travail où ce qui compte est avant tout »d’exister », c’est à dire donner un sens à son projet, à son métier, et ce sens ne peut être trouvé que dans les relations avec les autres. Autrement dit on apporte une amitié, une aide technique, un don à l’autre pour éprouver le sentiment d’exister. Il estime qu’il s’agit du bien le plus précieux dans l’entreprise or, celle-ci ne le valorise pas et réduise même les temps d’échange et de reconnaissance.
Il pointe notamment le drame du « tout gestion » qui tend de toute rendre productif en minutant ou supprimant les pauses cafés, les réunions, les apéros entre collègue. Il définit le principe de gestion comme la prise en compte unique de ce qui est mesurable.
Or en éliminant les temps de lien, on élimine selon lui ce qui permet de faire production ce qui conduit à une quadruple conséquence :
– le caractère paradoxal de la gestion des entreprises qui non seulement ne savent pas intégrer les cadeaux qui lui sont faits (compétences collectives) mais en plus tendent à l’ignorer, le malmener, le réduire,
– une perte progressif du sens de son travail car on n’a plus le temps d’en discuter, d’échanger avec les autres, avec ses pairs.
– un problème de reconnaissance car la gratitude ne s’exprime et les gens souffrent. Ce sentiment contamine progressivement les niveaux supérieurs de la hiérarchie notamment à cause du poids de l’actionnariat.
– l’émergence d’un salarié perçu comme « utilitariste » par l’entreprise alors qu’il a simplement intégré la dimension « gestionnaire » des rapports. Il s’agit du reproche fait aux jeunes qui ont simplement vus leurs proches impliqués mais peu reconnus ou licenciés.
Pour lui il est fondamental de remettre en cause cette vision gestionnaire des entreprises et les gérer autrement.
En savoir plus
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Note de version :
Mise à jour le 6 février suite à la mise en ligne des vidéos du débat par Alter éco le 02/02